Le viol ordinaire : réparer les blessures intimes

Paru le 19 novembre 2024



Le viol ordinaire : une réalité sous-estimée

Le concept de viol ordinaire désigne des agressions sexuelles qui, bien qu'elles correspondent à la définition juridique de viol ou d'abus sexuel, sont souvent banalisées ou minimisées dans la société, car ces agressions sexuelles se produisent dans des contextes de proximité entre la victime et l’agresseur, souvent dans des relations intimes ou quotidiennes (amis, partenaires, collègues). Contrairement à l'idée traditionnelle d'un viol perpétré par un étranger violent, ce concept met en lumière les agressions sexuelles qui sont souvent minimisées ou invisibilisées par des mythes sociaux qui déforment la réalité du consentement. Ces mythes incluent l'idée que l'absence de violence physique ou de menace explicite signifie un consentement implicite, ou que le fait de connaître ou d'être proche de l'agresseur rend l'agression moins "légitime" aux yeux de la société.

L'idée de viol ordinaire met en lumière le fait que ces violences sont parfois perçues comme étant moins graves ou excusables en raison de l'intimité ou de la proximité entre l'agresseur et la victime. Cela peut aussi inclure des comportements sexualisés non désirés, qui sont souvent rationalisés comme des malentendus ou de simples "erreurs de jugement", plutôt que comme des actes criminels. La notion critique la culture qui tolère ou passe sous silence ces violences, particulièrement lorsque les structures de pouvoir (genre, classe sociale, etc.) rendent difficile pour les victimes de dénoncer les faits.

En somme, il s'agit d'une réflexion sur la manière dont certaines formes de viol peuvent être "normalisées" ou banalisées dans la société, et sur la nécessité de les reconnaître et les traiter comme des violences graves, quel que soit le contexte dans lequel elles surviennent.

Cette approche, soutenue par des recherches comme celles de la politologue Alexane Guérin, vise à révéler les mécanismes hétéronormés et culturels qui rendent ces viols difficiles à dénoncer et à reconnaître, notamment dans le cadre de la justice pénale.

"En France, l’immense majorité des viols sont commis par un partenaire intime ou par un proche. La chercheuse Alexane Guérin a enquêté sur ce qu’elle définit comme des « viols ordinaires », particulièrement difficiles à nommer et à dénoncer parce qu’ils s’inscrivent dans le cadre banal de relations amoureuses ou amicales."

source : https://theconversation.com/enquete-sur-le-viol-ordinaire-239121

L’effet  #MeToo

Le terme de viol ordinaire s'inscrit dans une démarche critique inspirée des théories féministes américaines sur le "date rape" des années 1980 pour sensibiliser au fait que le viol peut se produire dans des contextes perçus comme sûrs, comme lors de rencontres amoureuses. À partir de 2017, le mouvement #MeToo a permis de remettre en lumière ces formes de violence, en particulier celles qui surviennent dans des contextes où les agressions sexuelles sont banalisées. Les débats publics ont permis d’exposer les carences du système judiciaire en matière de prise en charge des victimes, au Québec comme ailleurs dans le monde.

« Entre 2005 et 2022, le nombre d’infractions sexuelles est en hausse de 107 %. L’augmentation est particulièrement forte depuis 2017, ce qui coïncide avec la montée du mouvement #Moiaussi »

source : https://statistique.quebec.ca/vitrine/egalite/dimensions-egalite/violence/agressions-sexuelles

Plus récemment encore, le procès de Mazan a permis de mettre sur place publique la notion de culture du viol, de viol conjugal et les mécanismes de soumission chimique, suscitant une grande prise de conscience sur les violences sexuelles et le rôle de la justice

Le viol ordinaire au Québec

Au Québec, le concept de viol ordinaire s'inscrit dans une réflexion critique sur les violences sexuelles et le consentement. En 2020, l’autrice Janette Bertrand fait paraître un roman intitulé Un viol ordinaire, contribuant à sensibiliser le Québec à la notion de consentement dans le mariage et les relations intimes.

« Un viol ordinaire est l'histoire de Laurent, un homme normal, qui un soir oblige Léa, sa blonde, à faire quelque chose qu'elle ne veut pas. Ce geste, ce viol ordinaire, ébranle la vie de la famille. Julie, la mère, a besoin de comprendre pourquoi son fils chéri a dépassé les limites. Paul, le père, bien ancré dans ses opinions, n'en démord pas : « Un gars, c'est un gars. » Quant à Léa, elle est prête à perdre l'homme qu'elle aime pour un monde plus juste. »

source : https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1742381/janette-bertrand-viol-ordinaire-roman-consentement

Des idées fausses circulent largement, comme le mythe selon lequel un "vrai viol" implique nécessairement de la violence physique et un agresseur inconnu, alors que la majorité des agressions sexuelles sont perpétrées par des personnes connues des victimes.

« Au Québec, en 2019, la majorité des victimes d’infractions sexuelles déclarées par la police connaissait l’auteur présumé (81,4 %). Il s’agissait d’une connaissance dans 21,5 % des cas, suivie d’un ou d’une partenaire intime actuelle ou ancienne (18,5 %), d’un ou d’une membre de la famille immédiate (13,8 %), d’un étranger ou d’une étrangère (10,9 %), et d’un ami ou d’une amie (9,9 %). »

source : https://www.inspq.qc.ca/violence-sexuelle/statistiques

Réparer l’intimité blessée : justice réparatrice dans les situations de violences sexuelles et conjugales

Des organisations comme Équijustice, qui œuvrent dans le domaine de la justice réparatrice, participent à une réflexion sur la manière dont les violences, y compris le viol, sont perçues et traitées. Dans ce cadre, la justice réparatrice vise à donner une voix aux personnes victimes pour leur permettre d'exprimer leurs expériences, notamment dans les cas où la personne victime a le sentiment de ne pas avoir été entendue dans le système judiciaire traditionnel ou qu’elle n’a pas porté plainte.

Équijustice offre un service de dialogue, la médiation spécialisée, pour les personnes victimes, les auteurs et les témoins de violences sexuelles et autres crimes graves contre la personne tels que 

  • inceste,
  • agressions sexuelles,
  • violence conjugale et physique,
  • maltraitance et abus sur des personnes adultes et aînées,
  • homicide, 
  • Harcèlement criminel
  • Toute autre situation criminelle grave contre la personne.


La médiation spécialisée peut être envisagée :

  • à tout moment de la vie d’une personne,
  • qu’il ait eu une plainte ou non,
  • entre les personnes directement liées par les actes (personnes victimes, proches et agresseurs  concernés) 
  • ou avec des personnes de substitution pour des actes apparentés. 

Contacter Catherine Voyer, coordonnatrice des services médiation spécialisée

Témoignages sur la justice réparatrice en contexte de violence intime 

Emmy est une jeune femme qui a eu recours au service de médiation spécialisée offert à Équijustice pour les cas de crimes graves, dont les violences intimes. Elle partage son expérience de médiation avec son agresseur.

Dans l’épisode « Médiation », nous rencontrons Billie. Billie nous raconte sa démarche avec une médiatrice pour rencontrer l’autre personne. Les récits partagés présentent les expériences de personnes s’identifiant aux communautés LGBTQ+.  

Ressources

Info-aide violence sexuelle offre un espace sécuritaire, sans jugement où toute personne touchée par la violence sexuelle est accueillie, crue et accompagnée dans le respect de ses choix.

Centre pour les victimes d’agression sexuelle de Montréal (CVASM) s’engage à offrir un soutien essentiel et une aide adaptée à chaque personne touchée par la violence sexuelle. Nos équipes, fortes de leur expérience et de leur engagement profond, adoptent les meilleures pratiques pour accompagner avec empathie et sensibilité celles et ceux affectés par ces violences, dans toutes les régions du Québec.

Le Regroupement québécois des centres d'aide et de lutte contre les agressions à caractère sexuel (RQCALACS) se consacre à favoriser l’échange d’expertises entre ses centres membres, à soutenir la recherche de solutions pour enrayer les agressions à caractère sexuel et à assurer le développement de services d’intervention féministe intersectionnel pour les femmes et les filles.

Les CAVAC dispensent des services de première ligne à toute personne victime d’un acte criminel et à ses proches, ainsi qu’aux témoins d’un acte criminel.

La mission de l'Association québécoise Plaidoyer-Victimes (AQPV) est de défendre et de promouvoir les droits et intérêts collectifs des personnes victimes d'infractions pénales.

La mission de SOS violence conjugale est de contribuer à la sécurité des victimes de violence conjugale et à la réduction de la violence conjugale et de ses conséquences en offrant des services aux victimes, à la population et à toutes les personnes touchées par la violence conjugale.