La violence de genre au Brésil

Paru le 18 juin 2024



L'anthropologue brésilien, Theophilos Rifiotis propose une réflexion sur la violence envers les femmes et le système de justice au Brésil. Une réflexion qui fait écho aux préoccupations contemporaines en matière de justice et de violences faites aux femmes au Québec.

Quatre sources d’interpellation à propos de la judiciarisation de la violence de genre au Brésil

Le centre de Recherches  Appliquées et Interdisciplinaires sur les Violences Intimes, familiales et structurelles-RAIV, l'équipe Vi-J et l'équipe VC vous invitent, le 3 juillet 2024, à une conférence sous le thème : Quatre sources d’interpellation à propos de la judiciarisation de la violence de genre au Brésil. 

Résumé : "L'étude de la reconnaissance judiciaire de la violence envers les femmes ne va pas sans poser des difficultés majeures de tout ordre: politiques, analytiques et éthiques. La violence de genre est un opérateur symbolique de la lutte pour l'accès équitable au système judiciaire et, plus largement, un instrument social dans la lutte contre l’asymétrie de genre. Je propose dans cette présentation quatre questions issues des dialogues académiques et enrichies par les échanges continus avec les agents d’intervention judiciaire dans le domaine des violences de genre au Brésil. Les quatre points soulevés sont intrinsèquement liés et cherchent à mettre en perspective l’agenda analytique et peuvent avoir des implications pour le débat politique et éthique sur la judiciarisation de la violence de genre.

Le premier point est celui des « restes » de la judiciarisation des violences de genre face aux changements produits par l'encadrement normatif et institutionnel. La seconde essaie de problématiser la judiciarisation de la violence de genre en ce qui concerne la relation entre norme, sujet et comportements. La troisième, à la suite des précédentes, cherche à cerner les relations entre la politique, l'éthique et la production judiciaire de victimisation. Enfin, le dernier point, qui représente une sorte de convergence des précédents, est centré sur la délimitation de l'objet même de l'intervention judiciaire, « les violences faites aux femmes » et ses conséquences dans les pratiques judiciaires.

La question qui nous 'interpelle dans cette présentation est la suivante: après plus de 50 ans des luttes sociales, des changements normatifs, institutionnels et d'importants investissements de recherche, on se pose de plus en plus des questions: où en sommes-nous aujourd'hui? Quel cadre de réflexion guide nos démarches analytiques, politiques et éthiques? Ces questions dépassent largement les limites de mes recherches. J'essaie toutefois de traduire un ensemble d'interrogations actuelles dans l'expérience brésilienne qui s'impose chaque jour plus fortement comme un background incontournable pour faire avancer notre compréhension et, à la limite, notre puissance d'agir dans ce domaine."

Conférencier : Theophilos Rifiotis
Discutante : Célyne Lalande

Entre le levier et l'arène : bilan de la judiciarisation de la violence de genre au Brésil

Lors de notre congrès annuel de justice réparatrice et de médiation 2022, L’anthropologue brésilien, Theophilos Rifiotis est venu nous dresser le bilan de plus de 20 ans de recherches de terrain auprès des intervenants de la police judiciaire et des tribunaux spécialisés en violence conjugale au Brésil. La présentation porte plus particulièrement sur les résultats de la recherche collective menée depuis 2017 dans cinq villes brésiliennes (Florianopolis, Lages, Uruguaiana, Juiz de Fora et Natal), dans le cadre d'un projet soutenu par l'agence de recherche scientifique brésilienne (CNPq). Les résultats de ces recherches font état de changements dans les pratiques dans les Commissariats de Protection de la Femme et du traitement juridique dans les tribunaux spécialisés en matière de violence conjugale. Nous avons constaté tout particulièrement un mouvement pendulaire entre les efforts de pénalisation et les interventions dites "alternatives". Depuis 2018, les orientations du Conseil National de Justice reconnaissent la pertinence de la justice réparatrice en matière de violence conjugale. Notre bilan nous a permis d'identifier principalement deux défis majeurs posés par ces expériences d'intervention sociale : 1) d'abord la tension entre la valeur instrumentale de la judiciarisation comme un levier (approche politique) et sa valeur d'arène, c'est-à-dire de dispute autour de la construction des rapports de genre au cours des procès; 2) l'exigence de problématiser l'objet même de l'intervention judiciaire dans les cas de violence conjugale et la polarité victime-agresseur. Ce bilan souligne l'agentivité des sujets et la pluralité des interventions sociales.

Theophilos Rifiotis est professeur titulaire au Doctorat en Anthropologie sociale à l'Université Fédéral de Santa Catarina et à l'Université Federal de Rio Grande do Sul. Spécialisé dans l'étude de la judiciarisation de la violence de genre et les pratiques réparatrices au Brésil depuis plus de 20 ans, il dirige le Laboratoire des Études des Violences (LEVIS) à l'Université Federal de Santa Catarina et il coordonne un réseau de recherche en partenariat avec l'Université de Buenos Aires et l'Université National de La Plata en Argentine.