Justice réparatrice et violences sexuelles : retour sur 5 années de pratiques

Paru le 3 novembre 2022



Alors qu’octobre 2022 marque les 5 ans du mouvement de dénonciation #moiaussi #metoo, où en sommes-nous en matière d’accompagnement des personnes victimes et des auteurs d’agressions à caractère sexuel?

En 2019, une étude réalisée par le ministère de la Sécurité publique concernant les infractions sexuelles révèle que les crimes à caractère sexuel sont en hausse constante depuis près d’une décennie. Si le nombre de plaintes a augmenté depuis 2017 concernant les agressions sexuelles récentes, il reste stable pour les violences plus anciennes, et finalement demeure infime. Le Secrétariat à la condition féminine confirme que le taux de dénonciation des agressions sexuelles n’est que de 5 à 6%.

Ce faible taux de dénonciation s'explique en raison de la nature de l’agression (le fait que le crime touche l’intimité et suscite la honte) et de la nature du lien qui unit les personnes victimes et leurs agresseurs (conjoint, ex-conjoint ou, plus globalement, un proche, une personne connue) : 84.2% des victimes mineures et 78.8% des victimes majeures affirment connaître leur agresseur. 

Le phénomène #moiaussi a permis aux langues de se délier, à la parole des personnes victimes de se libérer et d’être entendue. Pourtant, une certaine omerta pèse encore sur les personnes victimes de violences intimes- majoritairement des femmes. Il reste encore du chemin à parcourir pour que le système pénal leur reconnaisse plus qu’un simple de rôle de témoin dans les tribunaux. Encore à ce jour, nombreuses sont les personnes victimes qui ne souhaitent pas voir le système judiciaire s’emparer de la situation vécue et envisagent la médiation pour tenter de gérer les répercussions de situation d’abus à caractère sexuel.

En ce sens, la justice réparatrice propose un modèle de justice de l’intime et du dialogue en offrant une voix et une place aux personnes victimes. Loin d’être une simple alternative ou un complément, la justice réparatrice est aujourd’hui une option de justice en soi. Elle est une forme de dénonciation, d’empowerment, une réappropriation du vécu et une quête de justice à part entière.

La justice réparatrice n’offre pas une solution ou un choix uniques. Elle est une forme de justice, conçue sur mesure, qui se modèle au rythme et aux attentes des personnes tout en s’assurant de la sécurité physique, psychologique et relationnelle de chacun des participants.

Aujourd’hui, nous pouvons affirmer que la justice réparatrice est l’une des solutions possibles en matière d’accès à la justice pour toutes les personnes concernées par un crime.

Rétrospective de 5 années de médiation spécialisée dans notre réseau.

Depuis 2017, notre réseau de justice réparatrice et de médiation citoyenne offre des services de médiation spécialisée, gratuits et confidentiels, pour les personnes victimes, les auteurs et les témoins de violences sexuelles, de genre, et autres crimes graves contre la personne. Les demandes en matière de médiation spécialisée ne cessent d’affluer. Les cinq dernières années, nous avons reçu près de 300 demandes dans notre réseau.

De ces cinq années de pratiques, il faut retenir que la médiation spécialisée peut être envisagée :

·         À tout moment de la vie d’une personne,

·         Qu’il ait eu judiciarisation ou non de la situation,

·         Entre les personnes directement liées par l'événement ou avec des personnes de substitution. 

·         Avec une seule personne ou avec plusieurs personnes,

·         Sous plusieurs formes : en face à face, en personne, par écrit, à distance, etc.

Les personnes qui souhaitent s’impliquer dans ce type de démarches sont volontaires et peuvent se retirer du processus à tout moment.

Cette année, deux travaux viennent appuyer la légitimité de la justice réparatrice et plus particulièrement de la médiation spécialisée. Ils mettent en mots et en images, le besoin des personnes victimes de bénéficier d’autres formes de justice :

Produit par la réalisatrice engagée Pauline Voisard, le documentaire Quand punir ne suffit pas -La justice réparatrice est l’un des rares films francophones qui contribuent à mettre en lumière la justice réparatrice et la médiation, loin des stéréotypes et des préjugés. La documentariste québécoise nous livre un travail inédit : en nous ouvrant les portes du Service correctionnel Canada et du réseau Équijustice, elle nous offre une immersion dans un processus remarquable, aux côtés des médiateur.trice.s et des personnes touchées par un crime.  https://quandpunirnesuffitpas.com/

Le rapport sur la Justice réparatrice en matière de violences sexuelles a été rédigé à l’issue d’un projet de recherche réalisé en 2020-2021 dans le cadre de la subvention du Fonds d’aide aux victimes d’actes criminels (FAVAC) par la chercheuse indépendante Laurence Marceau. L’objectif de cette étude est d’approfondir la compréhension de l’expérience telle que vécue par les personnes victimes et les personnes auteures ayant fait appel aux services de dialogue en justice réparatrice dispensés par les membres Équijustice. Plus largement, l’objectif est de produire des connaissances scientifiques et sociales et de proposer des pistes de réflexion et d’action à l’intention de toute personne impliquée de près ou de loin dans les milieux pratiques et théoriques liés à la problématique des violences sexuelles, et surtout, toutes les personnes victimes, survivantes, auteures et proches, qui se questionnent sur le déploiement de la justice réparatrice.  Lire le mémoire : https://equijustice.ca/data/la-justice-reparatrice-en-matiere-de-violences-sexuellesv15.pdf

Pour en savoir plus sur les services de médiation spécialisée, contactez Catherine Voyer, coordonnatrice des services de médiation spécialisée, au 514 522-2554 poste 2011 / cvoyer@equijustice.ca 

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Références :

La victimisation criminelle au Canada, 2014, par Samuel Perreault, Centre canadien de la statistique juridique Date de diffusion : le 23 novembre 2015.  https://www150.statcan.gc.ca/n1/fr/pub/85-002-x/2015001/article/14241-fra.pdf?st=ect-1Z_A

Les agressions sexuelles déclarées par la police au Canada avant et après le mouvement #MoiAussi, 2016 et 2017, par Cristine Rotenberg et Adam Cotter Centre canadien de la statistique juridique, Date de diffusion : le 8 novembre 2018  https://www150.statcan.gc.ca/n1/pub/85-002-x/2018001/article/54979-fra.pdf

Secrétariat à la condition féminine du Québec : http://www.scf.gouv.qc.ca/violences/agressions-sexuelles/quelques-statistiques/

https://www.inspq.qc.ca/agression-sexuelle/statistiques

Criminalité au Québec : infractions sexuelles en 2019, ministère de la Sécurité publique. https://cdn-contenu.quebec.ca/cdn-contenu/adm/min/securite-publique/publications-adm/publications-secteurs/police/statistiques-criminalite/infractions-sexuelles/stats_infr_sexuelles_2019.pdf