Inceste : briser la culture du silence
Paru le 19 novembre 2025
1 enfant sur 5 subit une forme de violence sexuelle avant ses 18 ans. Au Canada, seulement 5 à 6 % des agressions sexuelles sont signalées. Il est urgent de nommer l’inceste, d’écouter les personnes victimes et de leur offrir des réponses adaptées.
Un tabou qui persiste
En 1986, Eva Thomas témoignait à visage découvert à la télévision française. Elle racontait l’inceste subi dans son enfance, brisant pour la première fois la loi du silence. La vidéo des Dossiers de l’écran (1986) illustre un moment charnière : l’inceste commence à être abordé publiquement, mais dans un cadre encore marqué par la gêne et la minimisation. Les débats de l’époque révèlent la difficulté à reconnaître l’ampleur du phénomène et à nommer clairement les violences sexuelles intrafamiliales.
Quarante ans plus tard, ce crime reste « encore trop tabou », comme le rappelle Radio-Canada. Au Québec, il demeure l’angle mort des violences sexuelles : on en parle peu, on le croit rare, alors qu’il est massif. L’inceste demeure l’une des violences les plus invisibilisées, souvent reléguée derrière les débats sur les violences conjugales et le harcèlement.
- Les campagnes québécoises (#MoiAussi, Dis son nom) se sont concentrées sur les agressions sexuelles hors du cadre familial, laissant l’inceste en marge des discussions publiques.
- Silence institutionnel : Peu de politiques ou commissions spécifiques ont été mises en place pour encourager la dénonciation et la reconnaissance sociale de l’inceste.
L’inceste continue d’être le secret le mieux gardé des familles. Au Québec, les données disponibles révèlent une prévalence alarmante des violences sexuelles intrafamiliales. Selon l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ), 11 % des femmes et 4 % des hommes déclarent avoir subi une agression sexuelle par un adulte avant l’âge de 15 ans, ce qui inclut des situations incestueuses. Cela représente environ un enfant sur dix, une proportion qui s’approche des estimations françaises (CIIVISE), où 1 personne sur 10 aurait été victime d’inceste ou de violences sexuelles dans l’enfance.
Ces chiffres sont probablement sous-estimés : seulement 5 à 6 % des agressions sexuelles sont dénoncées à la police. Le silence imposé par la honte et la peur contribue à maintenir l’inceste dans l’ombre. Cette invisibilité souligne l’urgence d’agir : nommer, sensibiliser et protéger, pour que la honte change enfin de camp.
« La honte doit changer de camp », l’affaire Coralie Léveillé
En mai 2025, le chef médiatique Giovanni Apollo (Jean-Claude Apollo) a été accusé d’agressions sexuelles sur sa fille, Coralie Léveillé. Les faits se seraient déroulés entre ses 14 et 20 ans. Coralie a choisi de témoigner à visage découvert pour nommer l’inceste et lever le tabou : « J’avais l’impression que mon histoire était trop marginale. Mais les statistiques disent le contraire ».
Son geste est historique : il rappelle que l’inceste n’est pas une aberration isolée, mais une violence systémique, souvent invisible. Et que la honte n’appartient pas aux victimes. « La honte doit changer de camp », martèle Maria Mourani dans Le Journal de Montréal.
L’affaire Giovanni Apollo, largement couverte par Le Devoir et Radio-Canada, illustre la difficulté pour les victimes de dénoncer dans un contexte où les rapports de pouvoir et la peur des conséquences personnelles persistent.
Ces médias convergent sur trois constats majeurs :
- Un silence systémique : L’inceste reste invisibilisé, malgré des statistiques alarmantes.
- Un besoin urgent de prévention : Éducation sexuelle dès l’enfance, usage des termes anatomiques, et campagnes publiques pour briser le tabou.
- Une responsabilité collective : Les dénonciations ne suffisent pas. Il faut des structures d’accompagnement et de justice adaptées.
Pourquoi c’est si difficile d’en parler ?
« Je vais détruire la famille », « On ne me croira pas », « Ça n’arrive pas chez nous », « Ce sont des cas extrêmes ».
Culpabilité, peur, mythes persistants : l’inceste est l’agression la moins dénoncée et la plus taboue. Elle combine la violence sexuelle et la trahison familiale. Les victimes portent une culpabilité écrasante : peur de détruire la famille, de ne pas être crues, d’être accusées de mentir. Ce silence protège les agresseurs, jamais les enfants. Le dévoilement est une étape importante, mais qu’elle s’accompagne des réponses judiciaires et sociales adaptées.
Et la justice réparatrice ?
Au Québec, Équijustice propose un service de médiation spécialisée pour les violences sexuelles, y compris intrafamiliales, lorsque les conditions de sécurité et de consentement sont réunies. Cette démarche volontaire permet aux personnes victimes et aux agresseurs de dialoguer sur la situation, que les faits aient été dénoncés ou non. Elle offre une option de justice qui répond à des besoins de reconnaissance, écoute, dialogue et réparation.
💡 Pour en savoir plus sur la médiation spécialisée d’Équijustice : Médiation citoyenne et spécialisée - Équijustice