Violence sexuelle, dénonciation et annulation : Et si la justice réparatrice ouvrait une autre voie?
Paru le 12 novembre 2025
La diffusion du documentaire « Le grand retour des annulés » et le balado de l’Université Laval Retranche la violence sur les violences sexuelles dans le milieu culturel québécois nous rappelle une réalité incontournable : depuis le mouvement #MoiAussi, une vague de dénonciations a secoué l’industrie de la culture et de l’humour. Ces révélations ont mis en lumière des comportements inappropriés et provoqué une série d’annulation qui ont profondément marqué le public et les milieux concernés. Aujourd’hui, plusieurs questions demeurent : comment agir et réagir face aux dénonciations publiques? Annuler, est-ce rendre justice? Peut-on réellement tourner la page? Et si, au lieu d’effacer, nous cherchions à comprendre et à réparer?
Annulation et dénonciation : des réponses imparfaites
Lorsqu’une personne est dénoncée publiquement pour des gestes graves, la réaction sociale est souvent immédiate : exclusion, perte de statut, censure et autocensure imposées. Pour certaines personnes victimes, cette visibilité est une manière de reprendre du pouvoir et de briser le silence. Mais ces mécanismes ont leurs limites :
- Ils ne garantissent pas la reconnaissance des besoins des victimes.
- Ils ne favorisent pas une prise de conscience réelle des auteurs.
- Ils peuvent instrumentaliser la communication et les excuses publiques.
- Ils peuvent polariser le débat et enfermer chacun dans des positions cristallisées.
Entre sanction sociale et possibilité de réintégration, où se situe la justice?
Face à des situations aussi sensibles que les violences sexuelles, il n’existe pas de solution unique. L’important, c’est de proposer un éventail d’options qui répondent aux attentes des personnes, qui respectent leur rythme et leurs besoins. La justice réparatrice s’inscrit dans cette logique : elle n’impose rien, elle ouvre des possibilités.
La justice réparatrice : une autre option de justice centrée sur le dialogue
La justice réparatrice propose une autre voie. Elle ne cherche ni à excuser ni à effacer, mais à créer un espace sécuritaire où les personnes concernées peuvent dialoguer, comprendre et réparer.
- Elle met au centre de la démarche les besoins des personnes victimes : être entendues, crues et soutenues.
- Elle permet de dialoguer en toute confidentialité sur le vécu de chacun et les conséquences des actes.
- Elle offre aux auteurs des possibilités de réparation : reconnaître les torts et poser des gestes réparateurs envers les personnes victimes.
Contrairement à l’idée reçue, la justice réparatrice n’est pas une alternative « douce » à la justice pénale. Elle peut s’inscrire avant, pendant ou après un processus judiciaire, ou même en dehors de celui-ci, lorsque la dénonciation n’a pas eu lieu ou n’est pas souhaitée.
Pourquoi en parler dans le contexte des violences sexuelles?
Les violences sexuelles sont des réalités complexes, marquées par le trauma, le silence et la peur. Les personnes victimes cherchent souvent plus qu’une sanction : elles veulent être entendues, comprendre pourquoi cela s’est produit, s’exprimer sur les conséquences de l’agression dans leur vie et être soutenues dans leur cheminement.
La justice réparatrice offre un accompagnement sur-mesure pour ces échanges. Le soutien d’un médiateur ou d’une médiatrice permet d’assurer la sécurité des personnes, de garantir le respect de leur dignité et de leurs droits, de soutenir les personnes lors du processus, d’anticiper les difficultés, et de veiller à la faisabilité du dialogue.
Elle propose une option de justice qui se situe au-delà de l’oubli ou de la punition.
Une collaboration inédite : ADISQ x Équijustice
En 2024, Équijustice s’est associée à l’ADISQ pour explorer la réintégration des artistes après des gestes répréhensibles, en misant sur la justice réparatrice comme outil de dialogue. Cette initiative illustre que la réparation n’est pas synonyme d’impunité, mais qu’elle peut contribuer à transformer les pratiques dans des milieux fragilisés par les scandales.
« Une fois la décision d’aller de l’avant dans le processus de réintégration, il y a des rencontres préparatoires qui se font avec un organisme qui s’appelle Équijustice. On est dans la sphère de la justice réparatrice, donc c’est un organisme qui nous aide dans le dialogue avec l’artiste. Qu’est-ce que l’ADISQ attend de cette réintégration, Que ’est-ce que l’artiste a à dire à L’ADISQ? […] Ce qu’on essaie de faire, c’est de trouver une façon honnête d’analyser les situations et de prendre la meilleure décision possible pour l’ADISQ. » « Tout le travail qu’on a fait ces derniers 24 mois vise justement de s’éloigner le plus possible des apparences d’un tribunal. C’est pour ça qu’on a commencé à travailler avec Équijustice la facilitation du dialogue, pour vraiment être capable d’avoir une discussion sereine sur l’avenir. Tout ce fait au travers du spectre des valeurs de l’ADISQ, et notamment on croit à la réintégration, mais il faut qu’il y ait une démarche de la personne qui soit honnête […] une démarche sincère […] et une reconnaissance des faits. » Eve Paré, directrice générale de l'ADISQ, « DANS LES MÉDIAS» spéciale ADISQ (S8 Épisode 8).
Pour approfondir
Le grand retour des annulés
Le documentaire « Le grand retour des annulés » de Télé-Québec soulève des questions essentielles : Annuler, est-ce rendre justice? Que faire des zones grises? Doit-on réintégrer les artistes dénoncés ? Dans une société marquée par les dénonciations publiques, et la culture de l’annulation, ces interrogations résonnent particulièrement lorsqu’il est question de violences sexuelles.

Les violences sexuelles dans le milieu de la culture au Québec
Dans le balado RETRANCHE du RAIV, trois expertes ayant contribué au rapport « 3, 2, 1… Action! Une démarche concertée de lutte contre les violences à caractère sexuel en culture au Québec» explorent des pistes pour transformer les pratiques et prévenir la répétition des violences.
« DANS LES MÉDIAS » spéciale ADISQ (S8 Épisode 8)
